mercredi 17 février 2016

Rabots anciens ou modernes. La mise-en-forme n'est pas facile.


Bonjour à tous,

À nos débuts dans l'ébénisterie manuelle nous avons évidemment tout un lot d'outils à nous procurer.  Il y a trois possibilités pour les rabots soit, moderne du genre Lie-Nielsen, ancien restauré ou ancien non-restauré - osons le dire - tout rouillé.

Dans le texte qui suit j'utilise le terme mise-en-forme au lieu de restauré.  La mise-en-forme permet au rabot de fonctionner et la restauration lui redonne de l'esthétique.

Aucun de ces rabots ne fonctionnera correctement s'il n'est pas bien affûté, même le plus cher.  Lorsque notre niveau d'affûtage commence à s'améliorer le rabot moderne fonctionnera correctement (pas encore parfaitement) mais les anciens, mis-en-forme ou pas, risquent de moins bien fonctionner.

Voici le rabot qui m'a servi pour ce billet.

Stanley no. 4

Ce que j'ai constaté pour la majorité des anciens rabots:

1) la semelle est arrondie

Rabot à semelle arrondie sur la largeur
2) le dos du fer est tout sauf plat et l'affûtage précédent a probablement été fait sur un touret.

3) le siège est mal assis dans la semelle et il n'est pas droit (le fer ne pourra pas s'asseoir parfaitement dessus, spécialement près du tranchant)

Le siège ne peut pas être bien assis si c'est sur de la rouille

Siège rouillé et qui n'est sûrement pas plat


Dans plusieurs cas:

4) les poignées ne sont pas solides et les tiges doivent être raccourcies un petit peu.

5) le contrefer ne s'assoie pas correctement sur la lame

6) la lame est piquée par la rouille au point de contact entre celle-ci et le contrefer

Lame piquée par la rouille
Voyons comment régler chacun de ces problèmes.

1) J'utilise du papier sablé en courroie que je pose sur une surface de vitre.  Pour les petits rabots c'est rapide mais ça peut être long pour des no. 7 par exemple.

2) Le numéro 2 va un peu avec le numéro 6.  Dépendant du degré de rouille, il n'est pas rare que j'utilise mon touret manuel pour enlever toute la section piquée.  Ensuite, sur une pierre diamantée, je fais un biseau arrière de peut-être 1/2 ou 1 degré jusqu'à ce que j'obtienne du métal sain au tranchant et ce, sur toute la largeur de la lame.  Je peux maintenant affûter le fer en suivant ma procédure habituelle.

Biseau arrière sur pierre diamantée
Ce biseau arrière n'est possible que si ce même biseau est égal ou plus prononcé (angle plus élevé) lors de l'affûtage normal.

3) Asseoir le siège correctement est quelquefois problématique.  Ces rabots sont conçus avec un siège qui a quatre points de contact avec la semelle et il n'y a aucun truc que je connaisse pour rectifier les deux points de contact dans la semelle près de la lumière.  Il faut donc s'attaquer aux points de contact situés sous les vis qui maintiennent le siège en place.

J'utilise une jauge d'épaisseur (filler gauge) de 0.015" pour vérifier si le siège touche la semelle près de la lumière.  Si ma jauge détermine qu'il y a du jeu à gauche alors j'abaisse, en limant, l'appui qui se trouve sous les vis du siège, du côté gauche.

Jauge d'épaisseur du côté gauche.  Ici c'est bon, elle ne passe pas entre la semelle et le siège.

Rectifier la surface du siège se fait simplement sur du papier sablé en enlevant la vis qui maintient le presseur.  Je n'enlève pas le mécanisme d'ajustement latéral de la lame.  Je l'ai tenté une fois et j'ai brisé le siège...

4) Je ne sais pas pourquoi mais plusieurs des tiges qui maintiennent la poignée principale sont trop longues.  Avec une scie à métaux, j'enlève l'équivalent de deux filets et je lime cette coupe pour former un début de cône.  Ceci aidera grandement la vis à s'insérer correctement à sa place.

5) Je traite le contrefer presque comme une lame.  Je veux que l'extrémité qui s'assoie sur le dos de la lame soit bien plat et lisse.  Pour être certain que l'extrémité du contrefer se marie parfaitement au dos de la lame (c'est important parce que si c'est mal fait les copeaux se glisseront entre les deux), sur une pierre, j'abaisse le haut du contrefer de façon à ce que sa pointe forme un angle légèrement négatif.

Talon du contrefer légèrement plus bas que la pierre.

6) Si la lame n'est piquée qu'au point de jonction entre celle-ci et le contrefer, j'enlève toute cette portion de lame.  Si c'est généralisé, comme on en retrouve souvent chez les antiquaires, je n'essai même pas de la réparer.  Je sais que je ne pourrai pas obtenir de bons résultats quoi que je fasse et je dois trouver une autre lame.

Ça m'a pris un certain temps pour trouver des solutions à tous ces problèmes et je me disais que je pourrais vous en faire profiter, c'est maintenant chose faite!

Tout ceci pour en venir à la comparaison entre les rabots modernes et les anciens Stanley, Record ou Millers Falls.

Quand le travail de restauration est bien fait, il n'y a presque pas de différence entre les onéreux rabots modernes et les anciens.  La différence principale que je peux voir est dans le rabotage de grain de bout, où une lame moderne et épaisse a moins tendance à vibrer.  L'autre différence notable est dans l'usure rapide du tranchant de lames anciennes par rapport aux lames modernes.  Voir l'étude que j'ai réalisé à ce sujet.

Le problème principal du débutant est la qualité de son affûtage et, quelque soit le rabot, ça ne fonctionnera pas trop bien.  Lorsque son affûtage s'améliore, un rabot moderne est tout indiqué ou un rabot qui a été restauré par une personne qui s'y connait.

Je vais tenter de vous donner une idée un peu plus précise.  Si vous lisez mon billet sur la grande planche à découper, vous allez réaliser la quantité de bois en grain de bout que j'ai dû raboter.  Même si je possède deux rabots à angle faible de Véritas, je ne les ai pratiquement pas utilisé - disons 10% du temps.  Je diviserais l'autre 90% à part égale entre un Woodriver no.4 et un 5-1/4 de Stanley.

Le Woodriver est un rabot moderne comparable à LV ou LN pour pas mal moins cher.  Un Stanley no.5 (les 5-1/4 sont plus rares) peut se trouver un peu partout pour vraiment pas cher et être mis-en-forme suffisamment bien pour compétitionner les grandes marques.

Je pense qu'un débutant devrait se trouver un rabot ancien déjà mis-en-forme et pratiquer son affûtage.  Lorsqu'il sait ce qu'un bon rabot combiné avec un bon affûtage peut faire, il peut alors prendre la décision de tenter une mise-en-forme ou tout simplement payer plus pour un rabot moderne.

Normand

mercredi 3 février 2016

Scie Disston D-8 à tronçonner, restauration et affûtage


Bonjour à tous,

J'ai acheté une égoine il y a quelques mois mais elle avait bien besoin d'être restaurée.

Les problèmes principaux étaient l'affûtage, une lame qui n'était pas bien droite et les dents n'étaient pas en ligne (l'ensemble des dents faisait un arc de cercle lorsque vu de côté).

J'ai donc entrepris sa restauration qui m'a demandé un peu plus de deux heures.  Voici son état avant la restauration.  C'est une Disston D-8 ou 8 dents au pouce.











Je débute par démanteler la poignée et j'utilise du papier émeri à grain 150 pour enlever la rouille.  J'avais bien vu en achetant cette scie que la rouille semblait en surface.  Ça se confirme et l'opération ne prend que quelques minutes.






Un des problèmes était que la lame n'était pas droite.  Je l'ai donc gentiment martelé pour la ramener droite.  Ce genre d'opération, même fait avec minutie, ne ramène jamais la scie "parfaitement" droite.  L'important est qu'elle soit "suffisamment droite"... pas de pli avec changement de direction et pas de grande courbe.

Il est temps de s'attaquer aux dents.  Comme je le mentionnais ci-haut, les dents font un arc.  Je dois donc rectifier cela et je n'aurai plus à le faire si je fais bien attention de limer uniformément les dents lors des affûtages ultérieurs.

Il s'agit donc de limer les dents jusqu'à ce qu'on obtienne une ligne droite et que chacune des dents ait un petit plat prouvant qu'elle est à la même hauteur que ses voisines. Pour se faire j'utilise un "Morin gauge".

Morin gauge

Morin avec lime fixée

Cet outil a été conçu, je crois, pour affûter les godendart.  C'est passablement rare par ici et j'ai trouvé le mien chez un antiquaire de la côte ouest.  Dans ce cas-ci, le Morin ne me sert qu'à tenir une lime perpendiculaire à la lame et, avec sa face de référence, le tout se fait facilement.


Je débute par limer les points haut qui, dans mon cas, sont à chaque extrémité et spécialement près de la poignée.  Lorsque c'est presque droit, je passe la lime d'un bout à l'autre de la lame à quelques reprises.  Je vérifie minutieusement que j'ai un plat (ou pas) sur chaque dent.  Je recommence au besoin.  Le "plat" sur chacune des dents prouve qu'elles sont à la même hauteur.

La prochaine étape est l'affûtage proprement dit.  Cette scie est pour tronçonner et ceci implique qu'il y a deux angles à respecter pour former correctement les dents.  J'aime bien me référer à ce site
pour toute question relative à l'affûtage d'une scie.

Je possède un autre outil pour m'aider avec ces angles.  Vendu par Lee Valley, l'outil est facile d'utilisation.  Avant cela je m'étais fabriqué des blocs de bois dans lesquels j'insérais la lime au bon angle.


Angle de 20 degrés p/r à l'axe de la scie.

Lime à un angle de 15 degrés p/r à la verticale.

Voici cet angle sur un schéma.



Ici j'ai environ 20 degrés p/r à l'axe de la scie

Vu d'une autre perspective
Dans le cas de cette lame qui avait été négligée, l'affûtage débute par réduire les plats que nous avions fait sur les dents.  Ici, puisque j'ai enlevé plus de matériel près de la poignée, c'est la portion à laquelle je m'attaque et je tente d'obtenir un plat de dimension équivalente à toutes les autres dents.

Pour faire cela, je dois tourner la scie dans l'étau, réajuster l'outil Véritas et limer de chaque côté.  Si vous ne faites pas cela vous allez vous retrouver avec une petite dent suivie d'une grande dent.

Lorsque les plats sont similaires je peux maintenant faire un affûtage "normal".  En tentant d'être le plus consistant possible avec les angles, la force exercée verticalement sur la lime et aussi la force latérale, je lime 2 ou 3 coups par dent sans faire disparaitre complètement le plat.  Je tourne la scie et je recommence la même chose de l'autre côté.

Maintenant que j'ai de touts petits plats je recommence en ne limant que ce qui est nécessaire pour faire disparaitre le plat.  Ceci m'assure que toutes mes dents ont la même hauteur et c'est bien important.

Au tour de la poignée.  Elle est en condition relativement bonne alors je ne fais qu'un légér sablage suivi de gomme laque.


Poignée sablée

Ajout de gomme laque
Résultat final

Après tout cela je peux finalement tenter de couper quelque chose.  Le résultat est très satisfaisant même si je croyais que j'aurais à avoyer les dents (plus spécialement près de la poignée puisque j'avais enlevé au minimum 50% des dents sur les premiers deux pouces)

Pour ceux qui ne le sauraient pas, l'avoyage se fait au moyen d'une pince dédié à ce travail.  Je considère que l'avoyage est la portion qui me donne le plus de difficultés.  Pas assez d'avoyage et votre scie se retrouvera à la serre dans le trait de scie et trop implique qu'on doit enlever beaucoup de matériel et qu'en plus il est plus difficile de scier droit.  Plus d'avoyage d'un côté que de l'autre et vous ne pourrez pas scier droit.

J'espère que ce billet vous aura aidé.

Normand